20 avril 2024

Témoignage d'une stagiaire à Torba

Je m’appelle Raïssa Montois, je suis de nationalité belge et dans le cadre de mes études de Master (UC AgroLouvain), j’ai effectué un stage de 22 jours chez le Collectif Torba à Alger.

Cette association s’érige en tant que pionnière du développement d’un modèle agroécologique dans une société urbaine, encore peu sensible aux questions environnementales et de manger sain. Le collectif repose sur plus de 200 adhérents. Parmi eux, on distingue les membres actifs qui sont impliqués dans la gestion de projets Torba (jardinage partagé, circuit-court, formations à la permaculture, promotion des semences paysannes, de l’écotourisme…).
Ce stage en Algérie fut avant tout une expérience humaine formidable. Ce fut pour moi, mon premier voyage seule et totalement autonome. De plus, chez Torba, j’ai appris à travailler la terre pour la première fois. J’ai découvert de nombreuses plantes maraichères et techniques d’agroécologie !
Une chose est sure, j’ai été charmée par tout ce que m’a apporté ce séjour ! Je garderai un souvenir vif de toutes ces rencontres et de cette association hors du commun. L’Algérie est un pays surprenant à bien des égards !
Ce rapport de stage présente le résultat de mon travail après un stage de 22 jours au sein du collectif Torba, une association d’agroécologie en Algérie, plus particulièrement dans sa capitale, Alger. Cette association propose une dizaine de projets relatifs à l’application du modèle agroécologique (jardins partagés, formations à la permaculture, vente de paniers biologiques en circuit court, éco-conception, …).
DESCRIPTION DE L’ASSOCIATION
L’association Torba, créée en 2014, s’érige en tant que pionnière sur le développement de l’agroécologie et de la permaculture en Algérie. Elle définit ses objectifs comme tels : « sensibiliser le consommateur algérien à revenir au respect de la terre, de la nature et de l’environnement. » . Cet objectif se décline en trois axes :
– La promotion de l’agriculture urbaine
– Les formations à la permaculture et la pratique en jardin potager partagé
– La consommation d’aliments sains en participant au maintien de l’activité paysanne et développer le circuit court
1.3.1 PROJETS TORBA
1. Création d’un réseau agroécologique en Algérie par la fédération de ses acteurs
2. Initiation à la permaculture en jardin partagé
o Jardins partagés de Haouch Bogato constitués de 20 membres
o Jardins partagés de la ferme pédagogique de Zeralda constitués de 45 membres (appelés djanistes) bénéficiant de parcelles 25 à 50 m2 chacune.
o Mise en place des ateliers Torba Junior aux jardins partagés de Zeralda (initiation au plaisir de la terre et à la préservation de l’environnement de 13 enfants par atelier)
3. Initiative TAFAS « Tadhamoun maa el Fellah Assly » qui signifie en arabe « Solidarité avec le paysan authentique » (circuit-court selon le modèle des AMAP : vente de 80 couffins hebdomadaires de fruits et légumes)
4. Construction d’un éco-gîte et développement de l’éco-tourisme (financement et participation au chantier d’éco-gîte d’une famille)
5. Valorisation et promotion des semences paysannes (récolte de graines locales et échange entre les membres)
6. Appui aux Communautés Paysannes des Parcs nationaux (ACPP) projet de formations à l’agriculture durable et la promotion des circuits-courts à des paysans
7. Réalisation de stages d’initiation à la permaculture de jeunes (18 à 35 ans) : Pot’Alger
APPROFONDISSEMENT D’UNE THÉMATIQUE : L’AGROÉCOLOGIE VERS L’AUTONOMIE ALIMENTAIRE DE L’ALGÉRIE ?

Dans cette section, je m’attacherai à développer la question et la pertinence de l’agroécologie dans le contexte algérien ; ses spécificités, ses enjeux, ses contraintes. Cela me permettra de tenter de répondre à la question suivante : L’agroécologie, une approche de qualité pour l’autonomie alimentaire de l’Algérie ?
J’ai souhaité traiter cette thématique car pendant mon stage, je me suis plusieurs fois posé la question de la viabilité de l’agroécologie à grande échelle. En effet, je connais un certain nombre de projets d’agroécologie mais ceux-ci sont toujours relativement expérimentaux et ce modèle n’a jamais été porté par une politique étatique.
Pour répondre à cette question, il semble, tout d’abord, judicieux de rappeler clairement la définition de l’agroécologie et du système qu’elle sous-tend. Ensuite, sera exposée la situation alimentaire de l’Algérie (sa politique agricole, les pratiques culturales de mise, ses importations et exportations, …). Cela nous amènera, enfin, à l’adaptation des principes d’agroécologie sur le sol algérien, sa viabilité, sa capacité à répondre à l’autonomie alimentaire du pays et enfin sa pertinence dans le climat désertique du sud.
6.1. DÉFINITION DE L’AGROÉCOLOGIE
L’agroécologie se définit comme « l’application des concepts écologiques et de principes pour la conception et la gestion d’agroécosystèmes durables » . Cela signifie plus concrètement le développement d’agroécosystèmes à faible dépendance aux intrants extérieurs et à forte complexité pour favoriser les interactions et synergies écologiques. Ces méthodes permettent un auto-renouvellement de la fertilité du sol, une bonne productivité et la protection des cultures (voir définition du cours du professeur Philippe Baret dans l’annexe 11).
La FAO la définit comme « une approche intégrée qui applique concomitamment des notions et des principes écologiques et sociaux à la conception et à la gestion des systèmes alimentaires et agricoles. Elle vise à optimiser les interactions entre les végétaux, les animaux, les humains et l’environnement, sans oublier les aspects sociaux dont il convient de tenir compte pour qu’un système alimentaire soit durable et équitable » (FAO,2018, p.1).
Son objectif est de transformer des systèmes alimentaires pour plus de durabilité, cela en arrivant à un équilibre entre rationalité écologique, viabilité économique et justice sociale (Gliessman, 2015) .
L’agroécologie intègre donc aussi à ses fondements des caractéristiques socio-économiques. L’idée est de créer des réseaux de producteurs, citoyens-consommateurs, chercheurs. Les producteurs doivent pouvoir évoluer de manière autonome face au marché mondial et cela passe par la mise en place de modèles-socioéconomiques vecteurs d’une gouvernance démocratique des questions alimentaires .
Les principes de l’agroécologie peuvent être schématisés par la figure suivante (FAO,2018, p.12).
Figure 4 : Les 10 éléments de l’agroécologie
Source : FAO. 2018. Les 10 éléments de l’agroécologie, guider la transition vers des systèmes alimentaires et agricoles durables [image numérique]. Récupérée sur http://www.fao.org/3/i9037fr/I9037FR.pdf
6.2. SITUATION ALIMENTAIRE DE L’ALGÉRIE
Comme énoncé dans la section contexte, l’agriculture assure environ 70% des besoins alimentaires de l’Algérie. Cependant, elle présente une forte variabilité interannuelle due au climat et plus particulièrement aux variations de précipitations. Le pays produit principalement des céréales, des produits maraichers, de l’arboriculture (agrumes, olives, dattes, raisins, …) et des animaux d’élevage . Pour faire face à sa vulnérabilité aux précipitations, l’Algérie a considérablement accru l’irrigation, avec un taux d’irrigation des terres cultivées atteignant 14,5% (contre 5,2% pour la moyenne africaine, mais inférieur aux autres pays du Maghreb) . Les importations visent essentiellement les céréales, légumes secs, lait, oléagineux et alimentation fourragère.
La répartition des surfaces agricoles montre que 70% des exploitations sont de petite taille (< 10 ha), mais qu’elles n’occupent que 25,4% de la surface agricole utile, comme explicité en bleu dans les figures 5 et 6. En parallèle, les 2% de grandes exploitations (> 50 ha) représentent 23% des terres agricoles .
Ces petites exploitations représentent l’agriculture familiale, celle qui permet la sécurité alimentaire locale.
6.3 L’AGROÉCOLOGIE SUR LE SOL ALGÉRIEN
Je pense que le collectif Torba, à travers tous ses projets mis en œuvre, nous offre un tableau très représentatif de comment l’agroécologie pourrait se mettre en place à grande échelle dans le pays. Le volet économique évoluerait vers une floraison d’initiatives comme les TAFAS, tandis que pour le politique et social, l’éducation et la sensibilisation serait encouragée (formations et campagnes) puis mise en pratique (jardins partagés, éco-conception, …).
Pour adapter les principes d’agroécologie dans le pays, plusieurs questions se posent. Pour commencer, on peut se demander si l’Algérie dispose d’assez de terres cultivables pour être autonome. Le pourcentage de terres agricoles est mesuré à 3% de la superficie totale du pays, soit 8,2 millions d’hectares , et permet d’arriver à 70% d’autonomie alimentaire. Cependant, le pays subit de fortes pressions urbanistiques, c’est-à-dire une urbanisation croissante qui entre en compétition avec des terres potentiellement agricoles. En effet, les terres les plus fertiles se concentrent sur le littoral mais celles-ci sont, parallèlement, les zones de forte densité de population et présentent une bétonisation accrue . Dès lors, en vue de cette fragmentation de l’espace due à la présence humaine, l’agroécologie me semble plus efficace que l’agriculture industrielle et chimique, caractérisée par des monocultures. Cette dernière peut difficilement s’implanter dans de petits espaces, en vue des moyens qu’elle induit (grandes exploitations et entendues, machines agricoles, …).
Ensuite, on en vient à la question légitime, du rendement et de la capacité à suffire aux besoins de plus de 40 millions d’habitants. On présente souvent l’agriculture conventionnelle comme la seule capable d’une productivité répondant aux enjeux de faim dans le monde. Pourtant, elle a, à répétition, montré ses limites et ses travers concernant les coûts environnementaux colossaux qu’elle engendre (pollution et perte de biodiversité), mais également les coûts sociaux (monopolisation des terres, dépendance des agriculteurs aux semences et produits phytosanitaires, soumission au marché mondial et sa concurrence déloyale, …). On nous parle encore moins de la flagrante inadaptation de cette agriculture à beaucoup de pays du sud. En effet, l’agriculture intensive a été pensée en Europe et en Amérique, dans des climats tempérés et est donc encore moins appropriée sur beaucoup des climats variables du sud . En Algérie, par exemple les conditions sont semi-arides à arides et la productivité atteinte en agriculture conventionnelle est bien plus mitigée sur son territoire qu’en région tempérée.
Plusieurs études attestent, par contre, des biens meilleurs résultats obtenus par l’agroécologie dans les pays du sud. J’en utiliserai 2 pour illustrer mon propos. La première recherche s’est basée sur un échantillon de 12.6 millions d’agriculteurs dans 57 pays pauvres et leur a imposé une diminution de leur épandage de pesticides combinée à un usage de procédés agroécologiques (Pretty et al., 2006) . Les résultats ont montré que ces fermes ont vu leur rendement de culture gonfler de 79% après une période de 3 à 10 ans ! La deuxième étude traite plus spécifiquement du blé, la denrée la plus produite en Algérie . Les conclusions révèlent qu’en période de sécheresse, fréquentes en Algérie, les rendements de blé en agriculture biologique valaient 31% de plus qu’en agriculture conventionnelle (Rodale institute, 2015) . Cela s’explique par la plus forte concentration en pesticides et engrais chimiques dans le sol en période de sècheresse puisqu’ils ne sont pas dilués et lessivés par la pluie.
Ces deux études confirment donc que l’agriculture biologique et l’agroécologie, plus particulièrement, semblent bien mieux répondre aux besoins locaux. Les agriculteurs profitent de rendements beaucoup plus importants à l’échelle de leur exploitation et donc de meilleurs revenus. De plus, comme expliqué précédemment, si ces pratiques agroécologiques sont accompagnées d’un remodelage des logiques commerciales sous-jacentes (circuit court), on verrait une nette amélioration de la qualité de vie des paysans.
Par rapport au maintien des sols, l’Algérie est sujette à un des plus hauts risques d’érosion des sols au monde, à cause de son relief montagneux et ses conditions hydroclimatiques . L’agriculture conventionnelle participe elle aussi à cette dégradation des sols comme l’explique une étude de David Montgomery. Il démontre que l’agriculture conventionnelle érode plus vite les sols qu’elle ne les reconstitue et il remarque, à l’inverse, que l’agriculture sans labour permet la conservation des sols .
Mais qu’en est-il des vastes étendues désertiques du Sahara algérien ? Depuis les années 80, s’inspirant des expériences saoudiennes et libyennes, le gouvernement a instauré de vastes programmes de mise en valeur du Sahara. Ceux-ci ont conduit à des résultats peu satisfaisants. En effet, sur les 64 000 hectares alloués aux paysans d’oasis et à des entrepreneurs, seulement 4 000 ont réellement été cultivés, cela à cause de toutes les contraintes socio-économiques et climatiques de la zone . L’idée a quand même perduré et de nouveaux projets d’encore plus grande échelle ont vu le jour ces dernières années. Ils prévoient d’exploiter un million de nouveaux hectares.
Figure 7 : Agriculture saharienne à Oued Souf, culture de pomme de terre irrigée par pivot central
Source : Dzvid. 2018, 14 avril. Oued Souf, le nouvel eldorado agricole de l’Algérie [Image numérique]. Récupérée sur https://www.dzvid.com/2018/04/14/oued-souf-le-nouvel-eldorado-agricole-de-lalgerie/
Cette agriculture est rendue possible grâce à la découverte de la plus grande réserve d’eau douce au monde, la nappe de l’Albien ou zone aquifère du Sahara septentrional (voir annexe 12). Cette nappe souterraine regorge de plus de 30 000 km3 d’eau accumulée en un million d’années . On peut dès lors douter de la pertinence d’exploiter une telle zone aride, à priori impropre à l’agriculture et qui puise dans des réserves anciennes. Des études par satellite ont cependant montré que ce gigantesque réservoir n’était pas totalement fossile mais qu’il était encore alimenté à l’heure actuelle (Gonçalvès et al., 2013) . Cela nous permet d’examiner la possibilité d’une gestion durable de cette ressource, dont la recharge naturelle couvre actuellement 40% des prélèvements. A nouveau, les techniques agroécologiques semblent plus adéquates pour satisfaire une gestion durable de cette nappe aquifère puisque moins gourmandes en eau et meilleure pour le renouvellement de ces sols déjà très pauvres.
J’en conclurai que pour toutes les raisons, non exhaustives, présentées dans cette section (l’urbanisation croissante et la fragmentation de l’espace, la meilleure productivité de l’agroécologie dans les pays du sud, la lutte contre l’érosion, gestion durable des ressources en eau), l’agroécologie apparait à ce jour comme la solution la plus apte à assurer non seulement l’autonomie alimentaire de l’Algérie, mais également et surtout une gestion durable, grâce à toutes les fonctions écosystémiques concrétisées par cette approche holistique.
Je remercie du fond du cœur toutes les personnes qui m’ont accueilli et aidée avec une hospitalité déconcertante ! Ceux qui m’ont transmis leurs connaissances, qui m’ont accompagnée dans divers sites de stage, qui ont partagé des moments avec moi ! Je suis d’une immense reconnaissance de n’avoir croisé sur mon chemin que des personnes bienveillantes !

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