par Djamel BELAID. Ingénieur Agronome.
Depuis une cinquantaine d’années le consommateur algérien mange à sa faim. L’aisance financière actuelle liée à la rente gazière fait que nous vivons dans l’illusion de l’abondance alimentaire. L’agriculture pourra-t-elle un jour nourrir la population en Algérie et aussi exporter ? Le défi semble énorme !
LES CONTRAINTES DE L’AGRICULTURE LOCALE
L’un des facteurs limitant des productions agricoles au Maghreb et plus particulièrement en Algérie est l’eau. Le climat est majoritairement semi-aride ou aride. Certes dans le nord du pays, les précipitations sont supérieures à 600 mm/an mais il s’agit de pluies saisonnières. Ces zones à fortes précipitations et avec des pentes inférieures à 3% ne concernent que 500 000 ha.
L’année est marquée par une période sèche de 5 à 6 mois. Par ailleurs, d’une année à L’autre ces pluies sont irrégulières. Ainsi, pour une moyenne de 400 mm de précipitations, certaines années il peut manquer jusqu’à 100 mm.
A une pluviométrie insuffisante et capricieuse, il faut ajouter l’effet des températures. Dans la zone semi-aride (7 millions d’hectares), en été, les fortes températures se rajoutent au déficit hydrique, mais en hiver ces températures sont basses. De ce fait, malgré un sol saturé en eau durant de longs mois d’hiver la croissance des plantes est minime. Dès le printemps, des températures au delà de 25°C peuvent provoquer un échaudage des céréales et chez les animaux d’élevage des chutes de production.
Les zones steppiques constituent un espace considérable. Elles comprennent 20 millions d’hectares mais la pluviométrie moyenne y est faible ; de l’ordre de 300 mm. Il s’agit d’un écosystème fragile aux sols squelettiques, surexploité par l’élevage ovin et qui risque une désertification . Quant au sud, les oasis sont des zones de culture très réduites ou domine un climat aride. Toute culture hors de l’ombre protectrice des palmiers nécessite une irrigation continue tout au long du cycle de culture.
A ces conditions climatiques difficiles pour la végétation et les animaux, il faut rajouter les effets du réchauffement climatique.
RECHAUFEMENT CLIMATIQUE : L’ALGERIE EN PREMIERE LIGNE
Selon Kamel Mostefa-Kara et Hakim Arif auteurs de « État des lieux, bilan et perspectives du défi du changement climatique en Algérie », paru aux Éditions Dahlab en 2013, le Maghreb et notamment l’Algérie sont en première ligne face au réchauffement climatique. Le désert devrait avancer de 100 km vers le Nord. Ces auteurs estiment à 2 milliards de m3 d’eau la baisse des eaux de pluie. Mais plus grave, ces auteurs ont déjà mis en évidence une dramatique baisse des précipitations.
Oran: 500 mm en 1930, 300 mm en 2000.
Divers exemples situent la gravité du problème. « Le niveau des précipitations enregistrées à la station de Constantine est passé de plus de 770 mm en 1923 à 550 millimètres en 2007. À Alger, la pluviométrie est passée, sur la même période, de 1 000 mm à moins de 800 mm par an. Dans la région ouest, la station d’Oran, où les précipitations avoisinaient 500 mm dans les années 1920 et 1930, a enregistré entre 300 et 400 millimètres durant les années 2000. La pluviométrie dans la région de Saida (ouest) est passée de 300 mm en1964 à 100 mm seulement en 2004 ».
Ce n’est pas seulement l’agriculture qui serait touchée, mais également l’eau à destination des villes: « la baisse des précipitations a été accompagnée naturellement par une baisse des débits des fleuves et un assèchement important» des retenues d’eau. Le volume régularisable des barrages en Algérie a diminué de 15 à 20 % dans la région est, de 22% à 65% dans la région ouest tandis qu’une baisse de 20 à 25 % a été observée dans la région centre».
Aux contraintes liées à un climat rude, s’ajoute la question des terres agricoles. Face aux besoins d’une démographie galopante et d’une urbanisation rapide se pose la question cruciale de leur préservation. La surface agricole utile est passée de 0,75 hectare/habitant en 1962 à 0,25 hectare/habitant aujourd’hui.
Une telle situation n’est pas sans conséquence sur le niveau des productions et sur leur reproductibilité. En effet, moins de matière organique signifie une instabilité plus grande des agrégats constituant le sol et donc une plus forte sensibilité à l’érosion.
Le sol n’échappe donc pas à ce constat fait par l’agro-économiste S. Bedrani « la croissance de la population entraînant la croissance des besoins, la tendance a été de décapitaliser: défrichage rapide des terres steppiques, accroissement inconsidéré de la charge des troupeaux, surexploitation des nappes, stérilisation de terres par irrigation avec des eaux trop salées et insuffisamment drainées ».
A ces différentes contraintes naturelles vient s’ajouter un handicap technique. Le chercheur Omar Bessaoud parle même de « l’absence d’un paradigme technique achevé pour l’agriculture pluviale ».
En Algérie, l’agriculture est donc soumise à différentes contraintes. Mais elle possède par contre des atouts indéniables à condition que les choix réalisés aillent dans le sens d’une agriculture durable. Parmi ces atouts citons une recherche agronomique diversifiée, des agriculteurs très entreprenant et l’existence d’une industrie locale des engrais et du matériel agricole. Différents exemples montrent les potentialités existantes mais également les erreurs à ne pas commettre. A chaque fois, la nécessité d’une vision de développement durable doit s’imposer étant donnée la fragilité du milieu.
LA GROUND WATER ECONOMY OU LA MYTHOLOGIE DE L’ELDORADO SAHARIEN
Le premier exemple est celui de la mise en valeur du Sud avec notamment la production de blé dans le grand Sud. Ces cultures réclament une irrigation constante à l’aide de pivots. Cela nécessite de grandes quantités d’eau qui proviennent de nappes phréatiques. Il s’agit d’une eau fossile chargée en sels et qui ne se renouvelle pratiquement pas étant donné le faible niveau des précipitations. L’irrigation continue des parcelles provoque en 5 à 6 ans la salinisation et la stérilisation du sol saharien. Ce phénomène est visible du ciel.
Comme l’écrit un chercheur français il y a « un paradoxe évident à vouloir retirer du désert les denrées alimentaires qu’on a grand peine à obtenir dans les régions plus favorisées ». Combinant l’enquête de terrain et l’utilisation d’images satellites, deux chercheurs tracent un premier bilan d’étape de la production de blé dur dans le Sud.
Les images satellites ont mis en évidence des traces d’emplacement d’anciens pivots. L’explication vient de la pauvreté des sols sahariens mais aussi du processus de salinisation des sols. L’eau d’irrigation est en effet chargée en sels. « Les sols sahariens, très pauvres en matière organique, de faible rétention hydrique, et fortement exposés au lessivage du fait de l’irrigation intense, nécessitent des apports considérables en fertilisants. Pour y remédier, et afin d’améliorer les rendements, les agriculteurs recourent au déplacement de la rampe-pivot tous les cinq ou dix ans. »
Pour de nombreux agronomes s’il doit y avoir une agriculture saharienne, elle doit être avant tout oasienne, c’est à dire à l’ombre des palmiers dattiers.
REMPLACER PARTIELLEMENT LE MAÏS PAR DE L’ORGE
En 2012, l’Institut Technique des Élevages a ainsi réalisé des essais d’alimentation de poulets de chair avec de l’orge afin de réduire la part du maïs importé dans les rations de ces animaux. Les importations annuelles de maïs et de soja sont actuellement de l’ordre de 1,4 milliard de dollars. Au terme d’essais cet organisme note: « nous confirmons l’incorporation de l’orge sans additifs enzymatiques dans l’aliment du poulet de chair à des taux atteignant les 20% et 25% (respectivement pour les phases croissance et finition). »
Afin de satisfaire la consommation locale de protéines, en Algérie, le choix a porté sur les protéines animales. Outre la nécessité de substituer dans l’alimentation animale maïs et soja importés par de l’orge et de la féverole, il devient nécessaire en alimentation humaine de favoriser les protéines végétales : pois-chiches, lentilles et fèves. Une meilleure disponibilité des légumes secs et une éducation nutritionnelle des consommateurs peut permettre de réduire la pression sur la demande en viande. Enfin, de nouveaux produits sont à élaborer par l’industrie agro-alimentaire. En France, par exemple, des steaks hachés comprennent 15% d’ajout de soja texturé.
LE SEMIS DIRECT UNE OPPORTUNITE POUR L’AGRICULTURE PLUVIALE.
En agriculture pluviale, la base de tout progrès futur passe par l’arrêt de la fluctuation des productions et la stabilisation à la hausse des rendements. Concernant les céréales, la récolte peut être au dessus de la barre des 50 millions de quintaux, comme en 2008, alors qu’une année auparavant, elle se situait sous la barre des 20 millions de quintaux. L’enjeu est donc de trouver les techniques permettant, en situation non-irriguée, de tirer parti de la période humide qui s’étend de l’automne à la fin du printemps. Or, ces techniques existent et sont mises à profit par des pays comme l’Australie, l’Espagne ou le Maroc. Ils ont revisité l’ancienne technique du « dry-farming » pour lui substituer celle du semis direct.
Cette technique consiste à ne plus labourer le sol. De grosses exploitations céréalières l’ont déjà adopté. A ce titre, on peut dire qu’un changement fondamental se fait jour dans nos campagnes. Au niveau national, l’effet pourrait être une incontestable stabilisation des productions en années sèches. En effet, là où les parcelles labourées ne produisent que 2 qx/ha, celles en semis direct permettent de produire 10 qx/ha.
Le semis direct représente une réelle opportunité pour l’agriculture pluviale (non-irriguée). Il répond au handicap climatique, au handicap des sols superficiels et vient combler le handicap technique dans la mesure où trop longtemps le dry-farming avec la pratique de la jachère travaillée a constitué « un paradigme technique achevé pour l’agriculture pluviale ».
L’UTILISATION D’ENGRAIS BIOLOGIQUES EN ALGERIE
Un autre exemple d’agriculture durable concerne l’utilisation des engrais biologiques ou encore appelés « amendements organiques ». Ils peuvent constituer un complément important aux engrais minéraux. Ceux-ci sont chers. Aussi , du blé dur a été cultivé sur des parcelles expérimentales ayant reçu des doses de 20, 30 ou 40 tonnes de boues/hectare. Ces boues proviennent de stations d’épuration des eaux usées. A la récolte, les rendements ont été sans équivoque: les parcelles ayant reçue des boues résiduelles ont présentées un rendement de 34 quintaux contre seulement 14 quintaux pour les parcelles témoins.
EN CONCLUSION: PRODUIRE, MAIS …
Le rôle de l’agriculture et des secteurs amont et aval est immense. Il ne s’agit pas seulement de produire des récoltes et de les transformer mais de veiller également à une reproduction durable des ressources naturelles agricoles. Lorsqu’un agriculteur cultive ou élève des animaux sur un sol, il est nécessaire que l’agriculteur qui prendra par la suite la relève ait à sa disposition les mêmes potentialités de départ. L’agriculture doit également être source d’emplois. Cela implique que l’aide des pouvoirs publics aille aux exploitations familiales et pas seulement à de grandes exploitations rivalisant techniquement avec leurs homologues à l’étranger.
par Djamel BELAID. Ingénieur Agronome.
http://www.djamel-belaid.fr/
Bonjour, monsieur Belaid,
Excellent article , bravo.