Cheliff : alerte aux pesticides cancérigènes

C’est la panique à Aïn Defla et Chlef, et pour cause : ces deux wilayas sont classées, actuellement, premières au niveau national quant au nombre de malades atteints de cancer.
Le Professeur Fodil, président de l’Association algérienne d’oncologie, nuance ses propos. Tout en admettant que les pesticides peuvent être à l’origine de cancers, citant l’OMS, il estime qu’on “ne dispose pas de preuves chiffrées. Les pesticides sont cancérigènes et touchent les citoyens, en général, et les agriculteurs, en particulier. En France, c’est considéré comme une maladie professionnelle”.
Dans une région où l’agriculture constitue la principale activité, l’usage des engrais et autres pesticides se fait dans une totale anarchie, avec tous les dangers sur la santé publique, des agriculteurs, avant tout, et des citoyens consommateurs, ensuite.
Pour le directeur des services agricoles de la wilaya d’Aïn Defla, “toute utilisation abusive est nocive. Cela s’applique pour les produits phytosanitaires utilisés pour les traitements ou les engrais dont certains ne sont pas biodégradables”.
Boudjemaâ Zerrouk affirme que ses services ont tout fait pour sensibiliser les agriculteurs sur les dangers, notamment en ce qui concerne la salade : “Je leur dis que je ne peux pas vous surveiller tous les jours, mais de grâce ne vendez pas la salade qui vient d’être traitée. Laissez-la au moins dix jours, le temps que le produit se dégrade.” Tout en reconnaissant qu’il y a de l’inconscience chez les agriculteurs, surtout concernant les produits maraîchers, car “si on ne se couvre pas, on s’expose au danger (sans gants et sans masques)”. Le DSA avoue que “les gens (les agriculteurs) ramènent des jeunes qui sont inconscients. Dès qu’ils terminent l’épandage, ils fument une cigarette, avec tous les dangers que cela implique, car ce qui les intéresse, c’est l’argent qu’ils gagnent. Le propriétaire loue sa terre. L’agriculteur est un locataire”. M. Zerrouk propose de mettre en place des brigades mobiles pour surveiller les traitements qui ne sont pas respectés dans le temps (exemple de la salade). Mais ses services ne disposent pas assez d’agents de contrôle pour cette mission. En outre, la DSA n’a pas la fonction répressive. C’est pourquoi il suggère des brigades mixtes entre les services de l’agriculture et du commerce : “Le contrôle doit se faire en amont. Ensuite au marché de gros où il faudrait créer des brigades spécialisées.”
M. Zerrouk affirme que les agriculteurs ont été formés : “Ils le savent. Mais là, on a affaire à des locataires qui doivent rentrer, coûte que coûte, dans leurs comptes. Nous les avons formés. Les inspecteurs phytosanitaires vont sur le terrain. Mais quand la terre change de main, ça pose problème. On ne trouve pas le locataire, on ne trouve que des ouvriers.”
Les produits maraîchers ne sont pas les seuls exposés aux pesticides et autres engrais, même les fruits reçoivent leur dose. M. Zerrouk martèlera qu’“il existe un dosage à ne pas dépasser en ce qui concerne les engrais : 12 à 15 quintaux par hectare fractionnés selon le cycle végétal. Chaque sol a ses particularités. Tous les trois ans, on doit, en principe, faire des analyses de sol afin d’apporter les corrections nécessaires. Or, les agriculteurs ne font pas d’analyses, malgré le fait que les vendeurs d’engrais se proposent de leur effectuer des études de sol. On croit qu’en injectant plus d’engrais, on obtient plus de pommes de terre, par exemple”.
Pour en savoir davantage sur les pratiques irresponsables des agriculteurs, nous nous sommes rendus chez Mohammed, un vendeur de produits phytosanitaires au centre-ville d’Aïn Defla.
Son témoignage est édifiant : “Il n’y a pas assez de vulgarisation au profit des agriculteurs. À mon niveau, j’essaye de leur expliquer et les mets en garde contre les dangers encourus. Mais eux ont d’autres calculs et d’autres reflexes. Certains exigent des produits coloriés, pour s’assurer que l’ouvrier fait effectivement le travail pour lequel il a été payé. D’autres exigent un produit qui a une forte odeur, pensant que plus il est odorant, plus il est efficace, alors qu’ils refusent les produits incolores, inodores, pourtant non toxiques, mais qui, à leurs yeux, ne sont pas efficaces. Pour les dosages, j’ai beau leur expliquer qu’il faudrait respecter un certain seuil, mais rien n’y fait, ils persistent à augmenter les doses, pensant que c’est là le meilleur moyen pour avoir les meilleurs résultats. Pour ce qui est de la salade, par exemple, ils savent que la durée du traitement doit être comprise entre 14 et 21 jours. Mais dès qu’ils mettent le produit et une fois que le marché est demandeur, ils procèdent à son arrachage, avec tous les risques que cela suppose.”
Mohamed jette un pavé dans la mare : “Certains produits cancérigènes ont été interdits en Europe, mais continuent d’être vendus en Algérie, en toute légalité. Certains agriculteurs utilisent des produits pour stocker la pomme de terre. Or, ces produits sont très dangereux pour l’aliment. Parfois, des sangliers mangent de la pomme de terre traitée, ils en meurent juste après avoir bu de l’eau. Vous voyez, un sanglier, qu’on abat difficilement avec de la chevrotine, succombe vite devant ces produits. Que dire alors de l’être humain ?”
Tous les interlocuteurs sont unanimes à dire qu’il faudrait une étude sérieuse pour déterminer les causes exactes de l’augmentation des cas de cancer dans la plaine du Cheliff. Cette étude pourrait concerner les localités les plus touchées et devrait être menée conjointement par les services de la santé, de l’agriculture et de l’hydraulique, pour déterminer quel genre d’alimentation ces personnes atteintes consomment, ce qu’elles boivent, la qualité des engrais et des pesticides utilisés par les agriculteurs, les dosages utilisés et même les méthodes d’irrigation utilisées.
Des commissions d’enquête ministérielles ont été dépêchées dans la région sans que leurs résultats soient rendus publics et, pour le moment, chaque secteur travaille en solo, sans oser aller au fond du problème.
À Chlef, le nouveau centre anti-cancer, avec le peu de moyens dont il dispose, tente de mettre en place un registre pour recenser les cas de cancer dans la wilaya.
Il devrait permettre de mieux appréhender et d’identifier les types d’affections dans la région. Ce registre devrait être le prélude au lancement d’une étude épidémiologique descriptive et analytique de cette maladie. Aïn Defla attendra l’ouverture de son centre pour, ensuite, tenter de comprendre ce qui lui arrive.
EXTRAITS Journal Liberté du 14 decembre 2014

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